Maintenant et à l’heure de notre mort
Odilon Redon (1840-1916), ce roi des mondes imaginaires, refusait qu’on le qualifiât de peintre spiritualiste, encore moins de peintre chrétien, bien que le Christ et l’Évangile occupassent une place centrale parmi ses thèmes de prédilection. Profondément croyant mais non pratiquant et méfiant à l’égard de l’Église catholique, il considérait que le spirituel d’une œuvre ne vient pas de son auteur mais est une dimension inhérente à la réalité. Cette dimension invisible du réel, c’est précisément, pour lui, la mission de l’artiste que de la faire voir.
La représentation de la Vierge Marie que vous pouvez contempler en couverture de votre Magnificat, peut être aussi bien interprétée comme une Vierge de l’Annonciation que comme une Mère au pied de la croix. De par son histoire unique, elle doit être contemplée comme une œuvre fondamentalement mystique. À la mort du peintre, on l’a retrouvée, en cours d’exécution, sur son chevalet. Il est donc légitime d’y voir une bouleversante expression picturale de l’ultime prière du peintre, avant qu’il ne remît son âme entre les mains du Père :
Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour moi,
pauvre pécheur,
maintenant, oui maintenant, à l’heure de ma mort…
Nimbée d’une nuée mystérieuse, peinte aux couleurs du sang et de l’eau qui jaillirent du cœur transpercé de Celui qui a accompli comme défaite définitive de la mort la mort de tous les êtres humains de tous les temps, la Mère de Dieu se tient, jusqu’à la fin du monde, debout au pied de la croix de tous les agonisants. Elle est toujours là quand survient le « maintenant » de l’heure de notre mort. Les yeux clos, elle tient dans sa main gauche le livre de l’Écriture qui s’accomplit parfaitement par l’incarnation du Fils de Dieu en son sein – plénitude révélant par surcroît la surnaturelle raison de vivre et de mourir de tout être humain. Cette main tenant le Livre est posée sur son cœur, signifiant que précisément en son cœur uni au cœur de Dieu son fils, Marie est la Mère de notre espérance et la Porte du ciel. Aussi veille-t-elle précieusement sur le destin de chacun de ses enfants chéris, au moment tragique entre tous de leur grand passage.
Et nous, pauvres pécheurs, qui tout au long de notre vie avons récité chaque jour, par dizaines : « Priez pour nous, maintenant et à l’heure notre mort », comment pourrions-nous douter que la Mère de Dieu et notre mère sera bien présente et agissante à notre chevet, quand l’heure de notre passage de ce monde à notre Père sera venue ? Dans son livre Les Gloires de Marie, saint Alphonse de Liguori raconte cette anecdote : « Saint Jean de Dieu, se trouvant près de mourir, attendait la visite de Marie : il aimait tant cette bonne Mère ! Ne la voyant point paraître, il s’attristait et peut-être s’en plaignait-il. Quand le moment fut venu, la divine Mère se montra devant lui, et, comme pour le reprendre tendrement de son peu de confiance, elle lui adressa ces paroles si réconfortantes pour les serviteurs de Marie : “Ce n’est pas ma coutume d’abandonner à pareille heure ceux qui m’ont suivie.” » D’une manière poignante, l’ultime œuvre d’Odilon Redon atteste qu’à l’heure de leur mort, la Mère de Dieu n’abandonne pas, non plus, ceux de ses enfants qui au long de leur vie ne l’ont pas suivie.
Pour que la mort de tous, jusqu’au plus endurci des pécheurs, soit une victoire sur la mort, car telle est la volonté du Père, que pas un seul de ses enfants ne se perde, nous pouvons, à l’occasion d’une dizaine ou d’une autre, modifier légèrement la formule de notre prière, pour dire :
Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour tous les pécheurs qui ne vous prient jamais,
maintenant et à l’heure de leur mort. Amen.
Pierre-Marie Varennes
Vierge (1916), Odilon Redon (1840-1916), Bordeaux, musée des Beaux-Arts. © Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts, photo L. Gauthier.
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Maintenant et à l’heure de notre mort
Par Pierre-Marie Varennes
Pierre-Marie Varennes
Le May 1, 2022
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Odilon Redon (1840-1916), ce roi des mondes imaginaires, refusait qu’on le qualifiât de peintre spiritualiste, encore moins de peintre chrétien, bien que le Christ et l’Évangile occupassent une place centrale parmi ses thèmes de prédilection. Profondément croyant mais non pratiquant et méfiant à l’égard de l’Église catholique, il considérait que le spirituel d’une œuvre ne vient pas de son auteur mais est une dimension inhérente à la réalité. Cette dimension invisible du réel, c’est précisément, pour lui, la mission de l’artiste que de la faire voir.
La représentation de la Vierge Marie que vous pouvez contempler en couverture de votre Magnificat, peut être aussi bien interprétée comme une Vierge de l’Annonciation que comme une Mère au pied de la croix. De par son histoire unique, elle doit être contemplée comme une œuvre fondamentalement mystique. À la mort du peintre, on l’a retrouvée, en cours d’exécution, sur son chevalet. Il est donc légitime d’y voir une bouleversante expression picturale de l’ultime prière du peintre, avant qu’il ne remît son âme entre les mains du Père :
Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour moi,
pauvre pécheur,
maintenant, oui maintenant, à l’heure de ma mort…
Nimbée d’une nuée mystérieuse, peinte aux couleurs du sang et de l’eau qui jaillirent du cœur transpercé de Celui qui a accompli comme défaite définitive de la mort la mort de tous les êtres humains de tous les temps, la Mère de Dieu se tient, jusqu’à la fin du monde, debout au pied de la croix de tous les agonisants. Elle est toujours là quand survient le « maintenant » de l’heure de notre mort. Les yeux clos, elle tient dans sa main gauche le livre de l’Écriture qui s’accomplit parfaitement par l’incarnation du Fils de Dieu en son sein – plénitude révélant par surcroît la surnaturelle raison de vivre et de mourir de tout être humain. Cette main tenant le Livre est posée sur son cœur, signifiant que précisément en son cœur uni au cœur de Dieu son fils, Marie est la Mère de notre espérance et la Porte du ciel. Aussi veille-t-elle précieusement sur le destin de chacun de ses enfants chéris, au moment tragique entre tous de leur grand passage.
Et nous, pauvres pécheurs, qui tout au long de notre vie avons récité chaque jour, par dizaines : « Priez pour nous, maintenant et à l’heure notre mort », comment pourrions-nous douter que la Mère de Dieu et notre mère sera bien présente et agissante à notre chevet, quand l’heure de notre passage de ce monde à notre Père sera venue ? Dans son livre Les Gloires de Marie, saint Alphonse de Liguori raconte cette anecdote : « Saint Jean de Dieu, se trouvant près de mourir, attendait la visite de Marie : il aimait tant cette bonne Mère ! Ne la voyant point paraître, il s’attristait et peut-être s’en plaignait-il. Quand le moment fut venu, la divine Mère se montra devant lui, et, comme pour le reprendre tendrement de son peu de confiance, elle lui adressa ces paroles si réconfortantes pour les serviteurs de Marie : “Ce n’est pas ma coutume d’abandonner à pareille heure ceux qui m’ont suivie.” » D’une manière poignante, l’ultime œuvre d’Odilon Redon atteste qu’à l’heure de leur mort, la Mère de Dieu n’abandonne pas, non plus, ceux de ses enfants qui au long de leur vie ne l’ont pas suivie.
Pour que la mort de tous, jusqu’au plus endurci des pécheurs, soit une victoire sur la mort, car telle est la volonté du Père, que pas un seul de ses enfants ne se perde, nous pouvons, à l’occasion d’une dizaine ou d’une autre, modifier légèrement la formule de notre prière, pour dire :
Sainte Marie, Mère de Dieu,
priez pour tous les pécheurs qui ne vous prient jamais,
maintenant et à l’heure de leur mort. Amen.
Pierre-Marie Varennes
Vierge (1916), Odilon Redon (1840-1916), Bordeaux, musée des Beaux-Arts. © Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts, photo L. Gauthier.
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Pierre-Marie Varennes
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