Élisée refusant les présents de Naaman (1637), Pieter de Grebber (1600-1652), Haarlem (Pays-Bas), Frans Hals museum.
Pieter de Grebber, né à Haarlem vers 1600, était issu d’une famille catholique d’artistes dont le père, à la fois peintre, marchand d’œuvres d’art et artisan brodeur, jouissait d’un certain renom. Lui-même, peintre, dessinateur et graveur, est auteur principalement de tableaux religieux. Au cœur du siècle d’or néerlandais marqué par l’art baroque, il est l’un des pionniers du classicisme. Également auteur d’un traité sur l’art, il travailla à Copenhague, Anvers, Haarlem et à La Haye sous la protection du prince d’Orange. À Haarlem, où il habite de 1634 jusqu’à sa mort, en 1652, les affaires sont prospères. Marqué par diverses influences, comme celles de l’école caravagesque d’Utrecht, de Rubens pour la couleur et la composition, et de Rembrandt, il évolua vers un style plus personnel. Ses peintures sont caractérisées par une grande limpidité et une palette de tons clairs.
Un épisode du livre des Rois
Élisée refusant les présents de Naaman illustre un passage du livre des Rois (cf. 2 R 5, 14-17) où Naaman, chef d’armée du roi d’Aram, atteint de la lèpre, se rend en Israël pour guérir, sur les conseils de la servante de sa femme. Il se présente avec moult recommandations et cadeaux au roi d’Israël, lequel déchire ses vêtements lorsqu’il constate son incapacité à effectuer la moindre guérison. C’est alors qu’Élisée se manifeste, car ainsi Naaman « saura qu’il y a un prophète en Israël » (v. 8). Élisée invite Naaman à se baigner sept fois dans le Jourdain, ce qui l’offusque. Mais l’insistance de ses serviteurs le convainc, et aussitôt, sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant (v. 14). Naaman trouve Élisée pour le couvrir de présents, s’exclamant : « Désormais je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! » (v. 15). Mais Élisée refuse : « Par la vie du Seigneur que je sers, je n’accepterai rien » (v. 16).
Une lecture à double sens
C’est cet instant précis du récit qu’illustre le tableau de Pieter de Grebber. La composition suit une lecture à double sens. Si la scène est à lire de gauche à droite, comme un bas-relief antique, elle est éclairée de droite à gauche, en sens inverse, dans des effets de clair-obscur. Au loin, en grisaille sous un ciel chargé, le double attelage à palanquin, escorté d’un garde africain, rappelle le monde païen d’où vient Naaman. Au premier plan, de face, s’échelonnent les cinq têtes des protagonistes, dont les tenues déclinent des nuances de grège, jaune de Naples, rouge sombre, blanc doux, rose éteint, brun. Trois serviteurs affairés puis, sur un fond sombre, Naaman et Élisée qui leur tournent le dos, fermant la composition. La lumière provenant de cette partie du tableau les enveloppe. Elle frappe les mains, les fronts et les manches, ravivant tout ce qu’elle effleure. Le serviteur de gauche porte un coffret de pièces d’or, les deux autres offrent une étoffe de grand prix, face à Naaman, au centre. Manteaux précieux, parure de pierreries, brocards sont les ornements de ces serviteurs peignés à la mode de l’époque, barbiche en pointe et moustache relevée, évoquant les portraits de guildes de Rembrandt. Baignés d’une lumière diffuse et dorée, les visages expriment les affects propres aux recherches des peintres du xviie siècle. On distingue l’étonnement mêlé d’admiration devant l’inviolable probité de l’homme de Dieu. Le chef d’armée, en large turban, cape et pourpoint blancs de soie brodés d’orfèvrerie, tels que le peintre a dû les voir dans l’atelier de son père, montre pourtant un visage de cire dont le modelé se démarque de ceux des autres personnages. Pourquoi ce détail ? Car, selon le texte, sa chair guérie redevient nette. C’est une renaissance qui a lieu sous nos yeux.
Rencontre avec la lumière de Dieu
Adossé au groupe principal, Élisée fait face à une bible ouverte dont il ne se détourne que pour refuser les offrandes, les mains dans une gestuelle codifiée. Son vêtement fruste, sa barbe fournie et sa tonsure évoquent les figures d’apôtres de la sculpture classique, en contraste avec le groupe principal, raffiné. Ses paumes levées recueillent la lumière qui sourd du livre ouvert : l’Écriture, sa seule vraie richesse. Elles focalisent la trajectoire de la composition, qui est aussi celle du cheminement intérieur vécu par Naaman, depuis le monde païen enténébré jusqu’à la rencontre avec la lumière de Dieu. Par la guérison, Naaman, plus que la santé, a trouvé une raison de vivre. Sa faiblesse est ouverture à la grâce de Dieu, qui le façonne une nouvelle fois, c’est pourquoi son visage semble en cours de remodelage. C’est une transformation profonde, celle de la rencontre avec le Dieu tout-puissant ! La parole de Naaman l’atteste : « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël ! » Chargé de ses propres présents, Naaman repartira enrichi de cette terre sainte où, en plus de la guérison physique, il reçut la grâce d’une âme purifiée.
Mélina de Courcy
Professeure d’histoire de l’art au collège des Bernardins.
Élisée refusant les présents de Naaman (1637), Pieter de Grebber (1600-1652), Haarlem (Pays-Bas), musée Frans Hals. © akg-images / Album / sfgp.
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